-
Histoire de la Mission des Pères Capucins en l'Isle de Marignan...,
-
indigène de l'Ile de Maragnan, nommé François Carypyra, de la tribu des Tabaiares. XVIIè siècle.
-
indigène de l'Ile de Maragnan, nommé Jacques Patova. XVIIè siècle
-
indigène de l'Ile de Maragnan, nommé Antoine Manen, natif de Renary, originaire de Para de l'Ouest. XVIIè siècle
-
indigène de l'Ile de Maragnan, nommé Itapoucou Topinamba et baptisé Louis-Marie. XVIIè siècle
-
indigène de l'Ile de Maragnan, nommé Ouäroyio Topinamba et baptisé Louis-Henry. XVIIè siècle.
-
indigène de l'Ile de Maragnan, nommé Iapouäy et baptisé Louis de Saint-Jean. XVIIè siècle.
La France Equinoxiale
En 1947, l'anthropologue Pierre Verger attestait la présence de saint Louis dans une «Maison des Nagos» du Maranhão où était pratiqué le culte des orixas : «J'en fus le témoin le 25 août, jour de saint Louis, roi de France, lorsque cet auguste souverain revint sur terre, 652 ans après sa mort, pour se réincarner dans le corps d'une fille-de-saint de la maison.» La survivance de la mémoire de saint Louis, dont le culte s'est répandu en France au XVIIe siècle, ne prend tout son sens que si l'on rappelle l'histoire de la colonie française fondée en 1612, la France Équinoxiale, autour de la ville de Saint-Louis du Maragnan.
L'indéniable cordialité des rapports franco-tupis, depuis le XVIe siècle, la familiarité des Français avec le littoral nord et le caractère ouvertement missionnaire de l'affaire n'ont pourtant pas suffi à assurer longue vie à la France Équinoxiale. L'éphémère colonie s'était implantée avec le soutien de la reine régente Marie de Médicis qui avait nommé les Sieurs de La Ravardière et de Razilly «Lieutenants du Roi de France en l'île de Maragnan» et envoyé des missionnaires Capucins pour exercer leur apostolat auprès des tribus tupinambas.
De cette expérience coloniale est issu un corpus d'écrits composé de lettres apologétiques envoyées du Brésil par les Capucins et surtout de deux importants récits. Le premier, publié en 1614, est L'Histoire de la Mission des Pères Capucins en l'Isle de Maragnan et terres circonvoisines où est traicté des singularitez admirables & des mœurs merveilleuses des Indiens habitants de ce païs..., récit complet du voyage à Maranhão de son auteur, le père Claude d'Abbeville, jusqu'à son retour en France accompagné du Sieur de Razilly et de six ambassadeurs tupinambas. La publication de ce livre, dans une édition luxueuse, ainsi que les cérémonies solennelles et l'impression des gravures représentant les ambassadeurs visaient à encourager de nouveaux commanditaires et à préparer une possible émigration vers la colonie brésilienne.
La situation n'est plus la même un an plus tard : en 1615, le capucin Yves d'Évreux fait publier une Suite de l'Histoire des choses mémorables advenues en Maragnan, és années 1613 & 1614... qui n'a jamais été connue du public, car le tirage en a été détruit dans les ateliers de l'imprimeur, François Huby. François de Razilly réussit à sauver un seul exemplaire du livre, hélas endommagé. Le fait nous est raconté dans une lettre qu'il fait imprimer et relier soigneusement avec le récit, et qu'il offre au roi Louis XIII en 1617. Conscient des intérêts politiques qui menaçaient de compromettre l'entreprise coloniale, Razilly y révèle les circonstances qui ont conduit la « faction espagnole », qui soutenait le projet de mariage du jeune Louis XIII avec l'infante Anne d'Autriche, à exercer des pressions pour que les Français quittent le Maranhão. C'est pour ces raisons que la couronne de France renonça à soutenir davantage sa colonie brésilienne, démantelée en novembre 1615 par les forces portugaises.
En France, la dimension politique et religieuse du projet missionnaire du Maranhão trouve sa meilleure expression lors de la réception des ambassadeurs tupinambas à Paris, en 1613-1614. Toujours accompagnés de Claude d'Abbeville et du Sieur de Razilly, les ambassadeurs furent menés au Louvre afin de rendre hommage au roi de France et de soumettre «leur terre & leurs personnes à son sceptre», le reconnaissant comme «leur Roy & Souverain Monarque de leur païs» (Histoire de la mission, p. 340v°-341).
Le livre de Claude d'Abbeville fut publié au début de l'année 1614, dans ce contexte d'euphorie lié, d'une part, à la présence des Tupinambas à Paris, de l'autre, à l'urgence du départ d'une deuxième compagnie vers le Maranhão, pour pourvoir aux besoins matériels et humains de la France Équinoxiale.
Depuis la parution, en 1551, du livret signalant la participation d'une cinquantaine de sauvages à la fête brésilienne organisée pour l'Entrée Royale d'Henri II à Rouen, toute une série de documents attestent la présence de « brésiliens » en France. C'est aussi à Rouen, en 1562, que Montaigne rencontra les trois Brésiliens présentés au roi Charles IX, qui « parla à eux long temps », et auxquels on «fist voir nostre façon, nostre pompe, la forme d'une belle ville» (Essais, Livre I, chapitre XXI). En 1566, à Bordeaux, un autre défilé avec des Indiens du Brésil avait été organisé en hommage à Charles IX .
La propagande monarchique qui inspire les cérémonies parisiennes de 1614 suit de près les principes apostoliques modernes chers aux capucins. D'une part, les missions constituaient un temps fort du progrès du sentiment divin habitant virtuellement tout homme . De l'autre, la dévotion collective participait du processus politique d'émergence d'une communauté catholique universelle, qui embrasserait ainsi l'île des Tupinambas aussi bien que le royaume de France.
Mais autant que l'efficacité de la propagande de l'œuvre missionnaire capucine, c'est l'image de l'Indien bon, disposé à se convertir, qui est diffusée. Dans ces récits et images qui participent d'une occidentalisation plus générale, les Indiens sont « décontextualisés », abstraits de ce qu'on peut appeler « la coutume indigène ». Ainsi s'exprime Claude d'Abbeville lors de son arrivée en France : « [...] nous estions avides de faire voir aux François les fruits de nostre Mission & comme les premieres greffes de nostre nouvelle Colonie » (Histoire de la mission, p. 334). Tels des « greffes » de la nouvelle France, les Tupinambas sont détachés de la « réalité sauvage » et servent le spectacle de la conversion à la religion et à la civilisation des Français. Nul ne se doutait, alors, que le Maranhão ne serait jamais français. Ni que saint Louis survivrait malgré tout sur ces terres équinoxiales, dans des corps métis.
Documents associés :
Le Mercure François de l'année 1613 — publication qui faisait circuler faits divers et nouvelles politiques — consacre quelques pages à la présence des « Toupinambous Maragnans » à Paris : s'adressant au public chrétien français, et en particulier aux éventuels bienfaiteurs et investisseurs, le texte du Mercure présente la région comme « la clef du Brésil ». Comme dans les récits des missionnaires capucins, l'éloge de la colonisation française du Maranhão est indissociable de l'apologie de la docilité et de la volonté de conversion et de « francisation » des Tupinambas.
Deux estampes imprimées avant la parution du récit de Claude d'Abbeville et divulguées à Paris montraient les Tupinambas en spectacle exotique et édifiant, intégrés à l'ordre monarchique et catholique des cérémonies solennelles.
La première de ces estampes est une gravure sur cuivre, diffusée probablement entre avril et juin 1613, sur laquelle six sauvages sont représentés, trois de face et trois de dos. Ils semblent exécuter une danse, des hochets à la main. D'eux d'entre eux portent sur la tête des plumages qui leur tombent au long du dos et le reste de leur costume est français (la fraise, le justaucorps, les culottes bouffantes, les bas roulés, les souliers lacés et la croix en pendentif).
La seconde gravure, réalisée cette même année 1613 et vendue à « Paris, chez Michel de Malebourse à la rue Monorgueil », représente la scène du Baptême des trois Tupinambas dans l'église des Capucins. Cette fois, trois Indiens catéchumènes sont à genoux devant le Roi, en présence des capucins, de la Régente et des représentants de la Cour. Trois strophes versifiées, placées sous l'image, évoquent l'ordre monarchique et catholique dans lequel s'inscrit la présence des « étrangers » à la Cour française, venus « s'instruire en la religion » et rendre hommage au Roi.